19 novembre 2007

Au cœur de la globalisation - 3

Le Scenario

Première étape de la mission: collecter les demandes.
Il s'agit de faire le tour des chefs de projets qui ont passé commande pour avoir de l'Indien, et rédiger des bons de commande. Ca ressemble en gros à "je veux un développeur qui connaît java", ou "... connaît c++". Les plus malins d'entre eux rusent: "... qui connaît java, parle Français couramment et sort de Polytech". Eviter toutefois le "... connaît java, le whist, la belote et s'y connaît bien en bons vins", ça donne trop la mèche quant à ce qu'on fout vraiment dans cette cellule-là.
Ensuite, quand on a un bon paquet de demandes (disons 10), envoyer le tout au grossiste en Inde.

Deuxième étape, en Inde: le recrutement.
Quand le grossiste, en Inde, reçoit les bons de commande, il doit s'arranger pour envoyer des CVs de gars qui correspondent au profil. Donc il prend sa machine à écrire, invente 10 noms exotiques (par exemple Shantakumar, ou Gopinath... plus ça sonne bizarre, plus ça fait authentique) et crée de toutes pièces 10 CVs qui correspondent justement aux commandes. Le gars a tout de même un talent: il sait faire des voix et imiter les accents. Parce qu'après, il doit se faire passer pour ses 10 gars différents pour faire les interviews. Oui, mais ... côté contenu des interviews? Boarf, l'interview se fait en anglais, par téléphone, avec un Français. Il pose des questions, on massacre un peu l'anglais en baratinant n'importe quoi: après 3 ou 4 essais, il se lassera de demander de répéter la réponse...

Etape rien que pour rire: les changements d'avis
Du côté Français, c'est pas tout de passer commande de bonshommes, après il faut aussi changer d'avis. Finalement, le projet se fait pas / est retardé / on a tout changé / on a redéfini les priorités / on vous avait donné la liste de l'an dernier / ah non, c'est la liste des courses, ça... Les raisons sont nombreuses, et en tous cas les changements aussi: «Mais non, pas 3 "java": 1 "c++"», «Ah oui, il doit comprendre le Portuguais aussi», etc.

Etape "rions aussi": réagir au changement
C'est là que la compétence du grossiste fait toute la différence, et qu'on voit que c'est un vrai métier. Il doit continuer à faire coller ses CVs aux demandes, voire jongler un peu, permuter de ci de là... mais surtout pas s'emberlificoter dans ses bidouilles, parce que s'il tombe sur un coriace de l'autre côté, il pourrait en résulter une sérieuse baisse de crédibilité (genre le développeur qui change subitement de sexe, ou qui passe à 12 ans d'expérience alors qu'il a 23 ans, etc.).
Au terme de cette étape, on devrait obtenir une liste de sièges (jobs) et une liste de personnes (ressources), et même une correspondance entre les deux, qui fait qu'on sait qui mettre où.

Troisième étape: l'onboarding
Assez curieusement, envoyer du travail offshore commence par faire venir les gars en France. C'est ce qu'on appelle l'onboarding: monter à bord. Ils doivent venir à Paris montrer leur binette, faire un joli sourire, puis subir un transfert de connaissances. De manière à maintenir l'illusion que quand ils retourneront en Inde, ils vont travailler, et pas seuelement regarder le cricket.
Oui mais, là où avait laissé notre grossiste, avec ses CVs et son téléphone, on le sent dans l'embarras maintenant, avec 10 personnages dans son one-man-show.
C'est qu'il a plus d'un tour dans son sac, notre homme. Et justement il a un beau-frère (ou le cousin du voisin de la mère de la femme en second mariage de son oncle, enfin quelqu'un de très proche quoi) qui tient une agence de voyage: il est justement temps de faire des promotions pour les voyages à Paris, attention nombre de places limitées à 10!
Pour venir en France, les Indiens ont besoin d'un visa. Pour obtenir ce visa, il leur faut aller au consulat de France (à Mumbai... ce n'est qu'à 1000 kms) munis d'une lettre d'invitation. Ca a l'air gérable jusque là. Si ce n'est à leur retour du consulat, quand ils nous annoncent que leur visa de 30 jours commence à courir le jour même... «Mais!... Abruti! le client t'attend dans 25 jours à Paris: tu vas y rester 5 jours peut-être???»

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